La dépression, une épreuve pour grandir ? (1)

Ce livre présente la dépression et le processus de 8 femmes pour « s’en sortir ». Plutôt que de résumer l’ensemble du livre, j’ai choisi de reprendre quelques idées.

Comme des millions de personnes souffrent quotidiennement à travers la planète de dépression (10 % selon l’OMS), que des milliards d’antidépresseurs sont dépensés pour lutter contre « cette épidémie mondiale », nous sommes tentés de considérer la dépression comme une maladie. Dans son livre, Moussa Nabati propose d’aborder les choses différemment avec une autre hypothèse : et si nous pouvions voir dans la dépression autre chose qu’une maladie, une épreuve pour grandir ? Voilà sa proposition.

La dépression n’apparaît pas à l’œil nu. Elle fait peur, comme la folie pour beaucoup. « Contrairement à la maladie physique, elle se dérobe à tous les examens de laboratoire […] pour se transformer en mal étrange et mystérieux qui inquiète, comme tout ce qui résiste à une compréhension logique et à un dénouement par l’action ou par un mode d’emploi » (2)

Commençons donc avec ce qu’il évoque dès l’introduction du livre qui pourrait étonner, voire déconcerter.

La dépression se caractérise par trois catégories de symptômes :

– la chute de l’humeur (le déprimé « n’a plus le moral » et « broie du noir »)

– le blocage. Ce symptôme se caractérise par la fermeture, le repli sur soi, l’isolement et aussi le désinvestissement. Le déprimé n’a plus d’envie, plus d’élan ; la moindre des choses devient un calvaire, « une montagne ». Le déprimé perd l’appétit, le désir sexuel et la volonté. Les conséquences au niveau relationnel, sentimental, psychologique, corporel sont grandes.

– la souffrance morale. Le déprimé souffre beaucoup, dans la mesure où sa conscience est restée intacte. « Cette souffrance se traduit par des sentiments d’infériorité, d’échec, un dénigrement de soi, mais aussi des angoisses surtout matinales, une culpabilité, ainsi qu’une impression d’incurabilité. »

Une seule et même structure résume l’ensemble de ces symptômes : la perte de libido, d’énergie psychique et physique. L’individu se dévitalise.

Ensuite nous arrivons au cœur du sujet. Chez la personne déprimée il y aurait toujours une culpabilité ancienne et inconsciente. Cette dernière donnerait sens au symptôme dépressif.

Contrairement à certaines croyances, le choc du facteur déclenchant (un licenciement, une rupture sentimentale, la perte d’un être cher…) ne joue que le rôle d’un déclic et ne crée pas la dépression.

L’origine de celle-ci se situe toujours dans l’enfance.

Cette culpabilité inconsciente n’est pas la conséquence de la transgression d’une loi ou d’un interdit.

L’adulte déprimé a été un enfant privé d’amour et de sécurité en raison de l’indisponibilité des parents ou de leur négativité.

L’adulte déprimé porte en lui un enfant intérieur coupable – l’enfant n’ayant rien fait de mal est pourtant convaincu du contraire ; il se sentirait responsable de sa souffrance et de celle de ses proches – et un enfant intérieur thérapeute dont la fonction est de réparer ses parents. Pour cela, il se met à la place des parents de ses parents. Il prend à son compte leur douleur et tristesse afin de les délivrer. Il est une véritable éponge, ou pharmakos, pour soulager ses proches.

Afin d’apaiser sa culpabilité, la personne aura constamment recours à deux stratégies défensives de façon concomitante.

Elle cherchera par le biais de l’expiation, à s’auto-punir contre sa « mauvaiseté ». A côté de cela, elle dépensera une grande quantité d’énergie libidinale pour prouver à autrui et à elle-même qu’elle n’est ni coupable ni mauvaise. Elle est en quête d’innocence.

Malgré tout, ces deux stratégies défensives ne seront pas efficaces pour alléger le poids de sa culpabilité. En fait, le mal-être continuera de se développer en silence jusqu’ au jour J du facteur déclenchant.

La dépression se déclare lorsque le choc subi dans la vie actuelle entre en résonance, fait écho avec l’enfance en réveillant la culpabilité de l’enfant intérieur pourtant innocent.

Alors le présent devient lourd du poids passé.

Loin d’être une maladie à soigner avec acharnement, la dépression représente une chance, une occasion privilégiée de transformationBien qu’elle s’accompagne de souffrance, elle est une occasion de guérir une personnalité depuis longtemps mal en point. C’est comme si, pour devenir enfin soi (celui qu’on n’a jamais osé être par peur de nuire ou par crainte de se sentir consciemment coupable) et renaître, il fallait payer le prix.

La dépression est un signal d’alarme fonctionnant comme un miroir qui réfléchit un mal-être provenant de loin.

À la lecture de ce livre, nous avons donc à changer d’état d’esprit et ne plus envisager la dépression comme un ennemi intérieur à combattre à l’aide de toutes sortes de drogues et de médicaments. Plus on comprime un ressort plus on augmente sa force !

La dépression touche les hommes et les femmes et révèle chez tous les mêmes nœuds et souffrances. Elle prend sa source dans les mêmes aléas de l’enfance. Seulement face à elle, la femme se voit bien plus exposée pour des raisons psychologiques et culturelles. En effet, la femme s’impliquerait avec tout son être. Elle interagit d’emblée avec ses affects, émotions et sentiments dans une modalité de rapport souvent fusionnelle. Pour cela, elle se rend particulièrement réceptive à toutes sortes d’énergies positives ou négatives. Elle est perméable au mal-être d’autrui qu’elle pompe inconsciemment, encouragée par sa fibre soignante et maternante. La femme n’est donc pas davantage déprimée mais elle est plus « déprimable » dans la mesure où elle aspire les tourments de son entourage pour le guérir.

Confiante dans sa solidité psychique naturelle, elle n’éprouve pas de gêne ou de honte à exprimer sa dépression, à se plaindre ou pleurer, contrairement à l’homme qui, pour ne pas s’avouer faible, se replie dans le silence émotionnel.

Moussa N. a choisi de traiter dans ce livre la dépression au féminin. Son vœu étant qu’une meilleure compréhension de la dépression chez la femme aiderait les hommes à faire mieux connaissance avec le vaste continent de l’intériorité féminine et son « inquiétante étrangeté ».

Définir la dépression avec l’hypothèse de la culpabilité inconsciente ne signifie nullement que ce facteur puisse tout expliquer. Certaines pathologies organiques (infections, traumatismes crâniens, cancer, etc.) peuvent s’accompagner de symptômes dépressifs, effets secondaires de certains médicaments.

 

Que faire de la dépression ?

La dépression moderne, en constante évolution dans nos sociétés, renvoie aussi à des motifs culturels. La modernité, avec les progrès de l’émancipation, risque néanmoins d’inviter les femmes à vouloir la perfection et la toute-puissance. Il faudrait pour être modernes qu’elles soient belles, battantes, minces, douces, sexy, mères et amantes, ici maintenant et tout le temps, etc.

Pour « s’en sortir », la femme « déprimée » doit en premier lieu « entrer » dans sa dépression, en l’acceptant, en prenant conscience d’être et d’avoir été un enfant innocent et victime de sa situation. Cela lui permettra de renoncer à l’expiation ainsi qu’à la quête désespérée/désespérante de l’innocence.

Si les médicaments peuvent aider, de façon provisoire, à colmater une crise insupportable, l’attitude la plus saine, dans un premier temps consiste bien à s’accepter déprimé et à changer de regard.

Il ne faut pas voir la dépression comme une maladie honteuse mais y reconnaître un message de l’inconscient signalant une souffrance de l’enfant intérieur.

Plus le déprimé cherche à se débarrasser de sa souffrance dans l’urgence et la précipitation, plus la dépression s’installera en se chronicisant dans le temps.

Pour s’en sortir, il faut déjà accepter d’y rentrer. «La dépression lâchera, sans que l’on ait à se débattre, dès qu’on aura entendu son message et compris son sens.»(3) La dépression représente ainsi une métaphore initiatique, initiatrice, comparable à l’enfantement. Elle offre ainsi une occasion privilégiée de mutation, comme celle de la mue du serpent.

Et pour conclure, Moussa Nabati nous propose de nous accepter comme pêcheur et pécheresse, tel Adam et Eve.

Cessons d’éponger, en pharmakos, toutes les fautes et le mal du monde. Cessons de nous sacrifier, nous écraser en étant parfaits, gentils, sages comme des images pour ne pas déplaire.

Contrairement à l’entourage qui s’exténue à rassurer le déprimé, le rôle du thérapeute consiste à faire remonter à la surface une vie intérieure mise sous cloche.

« La dépression, lorsqu’elle est redoutée et fuie, se transforme en un crocodile poursuivant le déprimé de sa rage. A l’inverse, si elle est accueillie et écoutée, elle n’est plus qu’un petit lézard. » (4)

Pour résumer le propos de Moussa Nabati, je dirais que si l’on reste dans une perspective médicale, il est assez logique de vouloir mettre fin à un processus considéré comme morbide. Si les antidépresseurs ont un effet sur l’état psychique du patient c’est bien que la dépression est une maladie nous disent certains !

Différemment, si l’on envisage la dépression dans une perspective psycho-dynamique, elle peut ne plus être perçue comme un processus seulement morbide. Ce n’est plus « je suis malade car je suis en dépression » mais « je suis déprimé le temps nécessaire de la refonte d’un état du moi plus stable. Pour cela il nous faut accepter « d’entrer en dépression » comme cela serait envisagé dans un processus initiatique.

Vous l’aurez compris à la suite de cette ébauche, Moussa Nabati nous invite à domestiquer et entrer en sympathie avec la dépression. L’adulte libéré de ses inhibitions et de la culpabilité inconsciente pourra ainsi reprendre possession de lui-même et retrouver le goût de vivre.

 

1 Moussa NABATI, La dépression, une épreuve pour grandir ?, Le livre de Poche, 2010

2 ibid., p. 10

3 ibid., p. 276

4 ibid., p. 219