invitation à écouter la Série France Culture
« Trauma et agressions sexuelles : L’agression et la sidération »
Ci-dessous un résumé de ce premier épisode pour vous inviter à écouter les suivants :
Le procès de Mazan a révélé les viols perpétrés après une soumission chimique. La victime, Gisèle Pélicot, a été sous l’emprise de somnifères, mais d’autres substances comme le GHB, le tramadol ou l’alcool sont également utilisées. Chaque année, des centaines de personnes souffrent de ce cauchemar, dont elles n’ont que peu ou pas de souvenirs, mais qui s’impriment dans leur esprit par le biais de la mémoire traumatique. Ce type de mémoire concerne aussi des victimes souvent très jeunes, qui sont conscientes et non sous l’influence de drogues lors de l’agression.
Les victimes d’agressions sexuelles, confrontées à un stress intense, se retrouvent incapables de réagir, figées par la sidération. Ce phénomène entraîne fréquemment une amnésie traumatique, avec des conséquences physiques et psychologiques considérables.
Quelles sont l’amnésie traumatique, la mémoire traumatique et la dissociation ? Comment les surmonter ? Qui peut apporter de l’aide et comment obtenir réparation ?
Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, nous éclaire sur la compréhension de l’agression sexuelle et sur le premier mécanisme : la sidération.
La sidération est un choc psychologique, un état de choc qui bloque les fonctions cognitives supérieures. C’est une expérience tellement traumatisante qu’elle semble faire basculer la réalité, dépassant toutes les capacités de compréhension. Ceci est fréquent chez les victimes de viol, où près de 70 % des femmes adulte pourraient en faire l’expérience. La sidération se manifeste aussi bien sur le plan mental que physique. Les enfants, avec leurs fonctions cérébrales immatures, sont particulièrement touchés.
Lorsque une personne est confrontée à un grand danger imminent voir mortel, une réponse émotionnelle intense est déclenchée : l’amygdale, une petite structure cérébrale, s’active et libère des hormones de stress. Si l’individu parvient à analyser la situation et à envisager une solution, cette réaction est modulée. En revanche, si aucune réflexion n’est possible, le stress devient écrasant, entraînant la libération de niveaux d’hormones de stress, comme l’adrénaline et le cortisol.
C’est à ce moment que le cerveau déclenche un mécanisme de protection. Cela ressemble à un circuit électrique en surcharge, conduisant à la déconnexion de l’amygdale, qui cesse alors de sécréter les hormones de stress. La réponse émotionnelle disparaît alors, protégeant ainsi l’individu d’un danger vital, mais engendrant de graves psycho-traumatismes.
La victime qui ne se défend pas n’agit pas par manque de volonté, mais en raison de cette incapacité résultant de l’affaiblissement de ses fonctions supérieures. C’est dans cette situation que l’on observe la dissociation traumatique, qui se distingue de la sidération : la première prive la victime de ses capacités émotionnelles alors que la seconde l’empêche d’agir au moment des faits.
La dissociation traumatique représente une stratégie de l’agresseur, qui cherche à sidérer la victime afin d’obtenir cet état de dissociation, souvent de longue durée. Contrairement à la sidération qui est momentanée, la dissociation en revanche, peut s’installer durablement, rendant la victime très vulnérable et incapable de réagir.
Ce phénomène chez les victimes n’est pas spécifique aux femmes, mais touche également les hommes et s’explique par le comportement intentionnel de l’agresseur, visant à détruire leur dignité. Certaines victimes peuvent être davantage sidérées en raison de la vulnérabilité de leur cerveau, comme les jeunes enfants, les personnes en situation de handicap, ou celles présentant des troubles neurologiques.
La stratégie de l’agresseur est ajustée à chaque victime ; il est particulièrement facile de sidérer un enfant. De plus, une victime ayant déjà subi une agression est plus exposée, car elle possède une mémoire traumatique de sa précédente sidération. Un adulte ayant déjà rencontré des situations traumatisantes dans son enfance sera plus affecté par de nouvelles agressions.
La dissociation peut aussi être renforcée par la sécrétion de substances similaires à des drogues dures produites par le cerveau, telles que la kétamine et la morphine, amplifiant ainsi la sensation de dépersonnalisation. Les victimes témoignent souvent d’une sensation de détachement vis-à-vis de leur corps, se sentant spectatrices de l’événement sans pouvoir ressentir la douleur ou l’émotion qui devraient y être liées.
Cette dissociation perdure tant que la victime est exposée à un danger, notamment en présence de l’agresseur, aggravant ainsi les troubles psycho-traumatiques. Plus la menace provient d’un proche, plus la dissociation peut être intense.
Il est important de comprendre que l’amygdale cérébrale, une structure primitive de notre cerveau, joue un rôle d’alarme et filtre les événements vécus. À ce titre, elle s’active face à un danger, même quand la victime ne peut pas comprendre la menace. Ainsi, même un bébé peut réagir par une activation de sa mémoire traumatique, en réponse à une menace.
L’amygdale, bien qu’en alerte, peut être déconnectée de ses fonctions d’interaction avec le reste du cerveau, ce qui l’empêche de libérer des hormones de stress tout en continuant à signaler un danger. Dans un fonctionnement normal, un événement est traité par l’amygdale, puis analysé par les fonctions supérieures pour devenir une mémoire autobiographique par l’intermédiaire de l’hippocampe.
Lors d’un trauma, cette connexion peut se rompre, créant une mémoire traumatique où les souvenirs demeurent stockés à l’état brut, non intégrés et désorganisés. À peine une stimulation quelconque rappelant l’événement déclenche des souvenirs fugaces, conduisant la victime à revivre le traumatisme.
La mémoire traumatique et la dissociation apparaissent de façon concomitante après la sidération. En cas de dissociation, les souvenirs reviennent souvent sans émotions, ce qui peut sembler étrange à la victime. Si elle n’est pas dissociée, elle revit l’événement avec les affects éprouvés lors de la situation initiale.
La mémoire traumatique va se manifester de manière inattendue et spectaculaire :
lors d’une réminiscence, un enfant privé de lecture peut éprouver une incapacité à signer. Une personne ayant subi des violences sexuelles peut perdre le contrôle du volant en conduisant, sans comprendre pourquoi.
Ces manifestations, autrefois désignées comme hystérie de conversion dans un cadre psychanalytique, illustrent comment des individus peuvent être paralysés en raison d’un blocage psychologique survenu durant les actes de violence.
Il est crucial de noter que la mémoire traumatique diffère selon que la victime est ou non dissociée.
En conclusion, chez les victimes, le souvenir n’est plus associé à une émotion, et plus l’agression est grave et la victime jeune, plus le circuit se déconnecte, entraînant ainsi la dissociation. La mémoire traumatique se manifeste souvent comme une amnésie traumatique avec d’importantes conséquences.
source :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/carnets-de-sante/l-agression-la-sideration-6420730
autre ressource : Les conséquences psycho-traumatiques des violences : sidération, dissociation, mémoire traumatique
ressource pour approfondir le sujet : Formation interactive – comprendre le psychotraumatisme
lien vers : la mémoire traumatique en bref