Dans l’extrait suivant de Le centre de l’être de Dürckheim, l’auteur s’engage dans une exploration profonde et nuancée de la notion d’« ombre », concept central dans la compréhension de soi et du cheminement spirituel. Cette réflexion, née de son retour du Japon, met en lumière l’importance d’affronter les facettes cachées de notre être, celles qui sont souvent refoulées au profit d’une image idéalisée de nous-mêmes. Dürckheim nous invite à reconnaître que l’ombre ne se limite pas à des aspects négatifs ; elle englobe également des forces vitales, des désirs et des impulsions naturelles que nous avons appris à ignorer, et qui, lorsqu’elles sont négligées, peuvent devenir des obstacles sur notre chemin spirituel.
Loin de prôner une négation des instincts, l’auteur souligne que l’acceptation de ces réalités est cruciale pour une intégration harmonieuse de notre être. Il met en garde contre un idéalisme qui, en évitant de faire face à l’ombre, peut mener à des faux-semblants et à une vie déconnectée de la réalité. En effet, la spiritualité authentique ne consiste pas à fuir les désirs naturels, mais à les reconnaître et à les intégrer de manière consciente. Dürckheim illustre cette dynamique à travers des exemples concrets, tels que la lutte entre le désir et les conventions sociales, montrant que refouler ces instincts peut engendrer une douleur intérieure et des conflits.
À travers cette confrontation avec l’ombre, l’auteur propose une voie vers une plus grande authenticité. En intégrant les parts d’ombre, nous ne nous contentons pas de les accepter, mais nous les transformons en potentiels créateurs, éclairant ainsi notre chemin spirituel. Dürckheim pose ainsi une question essentielle : comment faire face à ces désirs et pulsions sans tomber dans le piège du refoulement ? En invitant le lecteur à prendre des décisions conscientes face à ses émotions et ses instincts, il ouvre la voie à une véritable liberté intérieure. Cette démarche, bien que parfois douloureuse, est présentée comme un acte d’amour envers soi-même, permettant de vivre une existence plus riche et plus sincère. En somme, cet extrait nous rappel l’importance d’une approche équilibrée de la spiritualité, où l’ombre, loin d’être un ennemi, devient une alliée sur le chemin de la réalisation de soi.
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Voici maintenant l’extrait du livre :
L’ombre pour Dürckheim
(Dürckheim, Le centre de l’être, p123-126)
À mon retour du japon, j’étais sans doute le premier à parler du travail sur les contenus de l’inconscient pour celui qui fait une recherche sur le plan spirituel.
L’ombre représente l’ensemble des forces, des puissances qui bloquent le chemin. Dans l’ombre se trouve tout ce qui est entre soi et le vrai soi-même. Tout idéalisme qui essaie de surmonter ces obstacles sans passer au travers aboutit à quelque chose de faux. L’homme qui ni l’ombre s’identifie à une image qu’il voudrait réaliser ou qu’il prétend être. mais en vérité il s’agit là d’un désir sans doute très pieux mais très éloigné d’une réalisation.
C’est par exemple la relation entre l’esprit et les instincts. Un homme qui se dit spirituel et qui n’a pas de contact avec la matière est quelqu’un dont on peut douter.
Par exemple, la matière concerne les rencontres tout à fait naturelles auxquelles nous sommes quotidiennement confrontés. vous rencontrez une jeune femme, elle est jolie et vous avez envie de coucher avec elle ; pourtant, vous êtes marié ! Ce n’est pas le diable qui apparaît là, c’est un désir parfaitement naturel. L’homme doit voir qu’en lui il y a ça. Que le sexe est un instinct naturel et qu’il est là, bien vivant. Ce qui naturellement pose un problème aussi pour l’homme en chemin. vous entendez bien souvent dans les ménages qui se disent spirituels que le sexe est contraire à l’esprit.
Sur le chemin, il ne s’agit pas de nier le sexe, il existe bien sûr le fait qu’à partir d’un certain âge le sexe ne joue plus le rôle qu’il joue dans la jeunesse. vous rencontrer des hommes, des femmes, pour lesquelles le sexe n’a pas la même importance que pour d’autres. mais nier le sexe, qui fait partie du tout Lui donne bien souvent une importance qu’il n’a pas si on lui donne la place qui convient.
Lorsqu’on commence à reconnaître l’Ombre il y a ce danger de voir trop vite ce qui serait mal alors que ça fait partie du Tout que nous sommes. Voir l’ombre, c’est voir l’ensemble des impulsions et des réactions naturelles auxquelles on a renoncé au profit d’une image que l’on voudrait réaliser et dans laquelle on aimerait briller aux yeux des autres.
C’est ainsi que jour après jour se forme l’ombre, c’est-à-dire le loup qui se cache en chaque homme derrière l’apparence du gentil mouton blanc et la sorcière ou la sœur noire en chaque femme.
Quel est l’intérêt d’une telle confrontation avec l’ombre ?
il s’agit de retrouver, dans l’ensemble des énergies refoulées, ces potentialités qui ne deviennent noires que parce qu’elles sont refusées. En elle-même ses forces sont claires, lumineuses.
Afin d’intégrer l’ombre, il faut reconnaître l’ombre. on est plein d’agressivité ! mais, parce qu’on a mieux à faire que se disputer, parce qu’on est bien élevé, on reste dans l’harmonie ! « Que vont dire les gens si nous nous disputons ? et puis j’aime mon mari et je dois bien me soumettre à ses désirs et à ses décisions ! »
C’est l’harmonie ! mais une harmonie qui refoule les instincts primaires, les instincts naturels. Alors on prie Dieu afin de rester dans l’harmonie ! On prie Dieu afin de traverser et surmonter cette épreuve ! En vérité, on prie Dieu de pouvoir rester dans le mensonge !
Que faut-il faire ?
il faut tout d’abord s’avouer la situation telle qu’elle est en vérité. De voir et d’accepter l’ombre ne veut pas dire qu’il faille céder aux agressions, ce qui serait ridicule mais nous devons reconnaître et accepter qu’on est plein de désirs, qu’on est plein d’agressivité. et ne pas dire : « moi ? mais ça ne m’arrive pas ! » lorsque l’ombre est ainsi reconnue, tombe déjà une surface stérile.
Second point : que dois-je faire avec ces désirs, avec ces pulsions ?
Vous devez prendre une décision. vous pouvez vous dire : « depuis bientôt 20 ans, chaque fois qu’une telle situation se présente je la refuse parce que j’ai peur d’être puni, parce que j’ai peur du qu’en dira-t-on. C’est donc ridicule, je ne suis plus un adolescent et aujourd’hui j’ai le droit à m’affirmer. je dois le vivre ! » ou vous direz : « au fond, non, ça n’en vaut pas la peine. parce que je vais apporter de la souffrance à droite ou à gauche. Je renonce. »
Ce renoncement n’est plus un refoulement mais une décision, un acte libre.
il peut arriver que vous vous leviez le matin avec l’idée de faire une belle promenade. Or voilà qu’il pleut. au petit-déjeuner votre compagne vous dit : « tu boudes ? – Moi ? pas du tout, je ne boude pas ! »
Certainement vous boudez, parce qu’il y avait en vous quelqu’un qui avait espéré beaucoup de cette belle promenade et que vous avez dû refouler votre désir naturel et légitime. C’est ce refoulement qui crée une ombre par contre si vous décidez consciemment : « Bien, je suis déçu de ne pas pouvoir faire cette promenade maintenant mais je m’arrangerai pour la faire plus tard », vous reconnaissez votre frustration et vous prenez une décision.
Une décision ne rend jamais malade, parce que c’est une action libre. Par contre un refoulement laisse toujours une trace.
Alors, en ce qui concerne cet important de travail sur l’ombre, je dirais toujours qu’il est important de se rendre compte de sa vérité. Si vous avez envie de manger et que vous êtes gourmand, ne faites pas semblant d’être un ascète, c’est ça qui est faux. très souvent, on manque de courage. on se comporte comme représentant de l’esprit pur parce que on a pas le courage de rencontrer la matière. On ira jusqu’à dire : « il faut bien que j’accepte l’insolence de l’autre, le pauvre ne sait pas ce qu’il fait ! » alors que ce qui serait juste c’est de lui donner une gifle. Dans cette gifle serait l’amour, parce que c’est exactement ce qu’il faudra à l’autre pour qu’il fasse un pas vers lui-même. mais on dira : « moi, au point où je suis dans mon développement spirituel, plus rien ne peut me toucher ! » et c’est là qu’entre le mensonge. »
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