Les doubles au psychodrame analytique1

Dans son texte, Aleth évoque le sketch de R. Devos dans lequel un quiproquo entre deux voisins amène l’un des deux à conclure qu’il va bien falloir mettre ses doubles au placard. R. Devos évoque dans cette situation tragi-comique un homme délirant. Il cherche ses doubles perdus/retrouvés et puis finit par les ranger au placard.

La désintrication des pulsions et des figures de l’ombre, ou représentations à l’état de choses, conduirait inexorablement dans sa forme pathologique à un processus de dédoublement. A l’inverse, entendu comme une étape nécessaire à l’assomption d’une subjectivité à venir, le processus de figuration en ayant recours à des doubles serait dans le cadre d’un psychodrame analytique, une démarche salutaire pour matérialiser l’indicible et faciliter la secondarisation des processus psychiques parfois difficile dans le cadre de la cure type divan/fauteuil.

Indications

« Le psychodrame s’adresse essentiellement aux pathologies dues à l’attaque mortifère des fonctions de liaisons du Moi et donc de la subjectivation ».

But du psychodrame analytique

Pour Aleth, le but du psychodrame est de permettre aux patients carencés narcissiquement de construire un double pour ensuite le démultiplier. Ce processus pourra ainsi se faire grâce au jeu et non au délire ou au rêve. Un cheminement qui va de la constitution du reflet dans le miroir aux objets partiels. Les analogies entre la perlaboration au psychodrame et celle d’un rêve sont nombreuses.

– effectuer un travail de perlaboration (trad. : durcharbeitung . le fruit du travail psychique en séance par dépassement des résistances induisant une répétition) grâce au jeu

– permettre au sujet d’entrer dans le champ de la relation d’objets, avec son corollaire l’altérité.

– matérialiser par le jeu de la figuration, des représentations à décondenser.

– s’approprier une partie non intégrée de soi ou se réapproprier une partie de soi projetée à l’extérieur.

« Plus la fonction de liaison du Moi est efficace, plus le double interne se transforme en une multitude de doubles objectaux, représentants des objets partiels. Dans le cas d’une condensation trop serrées de ces objets partiels, l’identité de pensée est en péril puisqu’une chose et son contraire peuvent exister dans le même temps, là où le patient devrait pouvoir penser dans la juxtaposition : une chose ou son contraire. »

« Certains, face au manque de double interne, se constituent un double externe, néoréalité, délire, hallucination pour faire échec à la menace de désorganisation et à la brutale désintrication pulsionnelle. »

L’affect au psychodrame analytique

G. ROSALETO parle d’opérateur de transformation passant par l’affect d’étrangeté et de familiarité (heimlich-umheimlich).

« Il n ‘y a pas de représentation de chose de sa propre mort ou du Moi. C’est seulement par l’affect que le Moi peut se donner une représentation de l’irreprésentable de lui-même. » dit R. MENAHEM

Thèmes du double dans la littérature et les écrits psychanalytiques.

S. FREUD, dans l’inquiétante étrangeté, met la thématique du double en relation avec le narcissisme, la relation d’identification primaire à la mère, l’homosexualité, la compulsion de répétition et la lutte contre l’angoisse d’anéantissement.

Pour J.-J. BARANES, Le double, en soi même étranger, est un passage obligé pour finir par faire l’expérience de soi-même, allant du dédoublement à l’altérité. Il parle ensuite de fétiche externe pour fixer les choses. Au psychodrame, nous pensons à la nécessité qu’éprouvent certains patients à choisir toujours le même acteur comme double.

Les figures du double dans la littérature sont plutôt des figures masculines.

C. COUVREUR évoque les notions de doubles animiques, doubles auto-érotiques et doubles narcissiques.

« L’aspect spéculaire de la thématique du double ne peut être évoqué sans citer J. LACAN qui affirme que c’est par l’autre que le sujet a accès à une image de lui-même, cette reconnaissance se faisant dans le champ du langage médiateur. »

Le double à double tranchant

Pour G. ROSALETO, le double, pivot spéculaire et opérateur psychique biface est à double tranchant. Au pire il conduit au fétichisme (en assurant ainsi la continuité narcissique mais en réduisant comme une peau de chagrin la vie psychique). Pour le meilleur, il permettrait un remaniement des clivages du moi.

« Certains patients très carencés narcissiquement se constituent un double, partie d’eux-mêmes, qu’ils projettent à l’extérieur pour pouvoir la supporter »

« Pour les patients qui vivent de dédoublement, la partie malade est projetée soit parce que trop pulsionnelle, soit trop idéalisée, soit trop mortifère. »

Faire face à la désintrication pulsionnelle

Aleth nous explique ainsi que la constitution d’un double médiateur entre angoisse de morcellement et angoisse de castration est un processus permettant de faire face à la dés intrication pulsionnelle. Pour les patients qui vivent dans le dédoublement, la partie malade est projetée soit parce que trop pulsionnel, soit trop idéalisée ou trop mortifère.

Similitudes entre la perlaboration au psychodrame et dans le rêve

Elle nous explique ensuite pourquoi il est pertinent de comparer la technique du double au psychodrame et le travail du rêve. Pour illustrer ce propos, elle évoque le cas d’un patient insomniaque qui a pu mettre fin à ses insomnies suite à un rêve terrorisant dans lequel apparaît un personnage derrière le rideau de sa chambre. Il finit par reconnaître ce personnage comme étant lui-même. Rêve traumatique mais signant la fin des insomnies.

Trois exemples de jeu de double

Pour conclure et avant qu’elle ne donne trois exemples, le double apparaît donc au psychodrame proche du personnage d’un délire : double animique, auto-érotique ou narcissique et également proche des multiples personnages du rêve.

Exple 1 : « Je ne sais pas quoi jouer » double en face (= miroir)

L’acteur, double alter ego du patient, représente celui-ci et lui parle en lui demandant conseil. Tu sais c’est la première fois que je viens, j’ai très peur, ils m’impressionnent tous à me regarder ainsi…

Le jeu de double décondense deux représentations : celle de l’inhibition liée à la terreur et celle du désir d’exprimer le mal-être ressenti.

Exple 2 : « Quand le téléphone sonne… ma mère, je ne sais pas quoi lui dire » -> double à côté (= miroir)

Exple 3 : « un terrain vague avec pleins de chats »      -> doubles partiels avec métaphorisation

Voix-off ou jeu en miroir

Voix off ou jeu en miroir favorisent ainsi plus librement l’appui sur le temps de l’illusion d’un objet trouvé/crée, d’une non-différenciation entre le sujet et l’objet. Ensuite peut venir le temps de l’assomption de l’objet dans son altérité.

Les différents doubles

– le double face à face

– le double à côté ou derrière

– le double hors jeu

 

En guise de conclusion

Des morceaux de soi non symbolisés ne peuvent pas conduire le sujet à une position subjective incluant son monde interne. Le petit peuple de l’ombre serait lui-même composé par les figures agglutinées d’une cité engloutie sous des eaux bien troubles. C’est bien parce que ces représentations restent agglutinées (par le truchement de la condensation) qu’il faut les désolidariser pour rendre de nouveau vivable cet édifice intérieur et conduire à une image de soi bien intégrée. Des ombres donc, devant être dans un premier temps externalisées et prendre la figure d’un double, pour finir par être ensuite admises et reconnues dans leur singularité.

Nous pouvons comprendre que le psychodrame est un terrain de jeu merveilleux pour faciliter la secondarisation des processus primaires. Processus primaire à l’image d’un terrain vague sans frontière où l’énergie pourrait circuler trop librement comme le vent. Secondariser consisterait donc à faire de ce terrain vague un jardin paysager.

Cette digression par les doubles, rendue possible par le jeu, est ainsi une technique majeure facilitant la recomposition de la trame d’une structure moïque trop longtemps restée comme bouchée, trouée ou étiolée.

 

1 Isaac SALEM (direction), Vues nouvelles sur le psychodrame psychanalytique – Les doubles au psychodrame analytique, p.73 – Paris, EBK, 2013